Les Cieux inexorables
Me sont si rigoureux,
Que les plus miserables
Se comparans a moy se trouveraient heureux.
Je ne fais a toute heure
Que souhaiter la mort,
Dont la longue demeure
Prolonge dessus moy l’insolence du Sort.
Mon lict est de mes larmes
Trempe toutes les nuits:
Et ne peuvent ses charmes,
Lors mesme que je dors, endormir mes ennuis.
Si je fay quelque songe
J’en suis espouvante,
Car mesme son mensonge
Exprime de mes maux la triste verite.
Toute paix, toute joye
A pris de moy conge,
Laissant mon ame en proye
A cent mille soucis dont mon coeur est ronge.
La pitie, la justice,
La constance, et la foy,
Cedant a l’artifice,
Dedans les coeurs humains sont esteintes pour moy.
L’ingratitude paye
Ma fidelle amitie:
La calomnie essaye
A rendre mes tourments indignes de pitie.
En un cruel orage
On me laisse perir,
Et courant au naufrage
Je voy chacun me plaindre et nul me secourir.
Et ce qui rend plus dure
La misere ou je vy,
C’est, es maux que j’endure,
La memoire de l’heur que le Ciel m’a ravi.
Felicite passee
Qui ne peux revenir:
Tourment de ma pensee,
Que n’ai-je en te perdant perdu le souvenir!
Helas! il ne me reste
De mes contentements
Qu’un souvenir funeste,
Qui me les convertit a toute heure en tourments.
Le sort plein d’injustice
M’ayant en fin rendu
Ce reste un pur supplice,
Je serois plus heureux si j’avois plus perdu.
(Jean de Caen Bertaut)
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