O la splendeur de notre joie,
Tiss?e en or dans l’air de soie!
Voici la maison douce et son pignon l?ger,
Et le jardin et le verger.
Voici le banc, sous les pommiers
D’o? s’effeuille le printemps blanc,
A p?tales fr?lants et lents.
Voici des vols de lumineux ramiers
Pl?nant, ainsi que des pr?sages,
Dans le ciel clair du paysage.
Voici–pareils ? des baisers tomb?s sur terre
De la bouche du fr?le azur–
Deux bleus ?tangs simples et purs,
Bord?s na?vement de fleurs involontaires.
O la splendeur de notre joie et de nous-m?mes,
En ce jardin o? nous vivons de nos embl?mes!
L?-bas, de lentes formes passent,
Sont-ce nos deux ?mes qui se d?lassent,
Au long des bois et des terrasses?
Sont-ce tes seins, sont-ce tes yeux
Ces deux fleurs d’or harmonieux?
Et ces herbes–on dirait des plumages
Mouill?s dans la source qu’ils plissent–
Sont-ce tes cheveux frais et lisses?
Certes, aucun abri ne vaut le clair verger,
Ni la maison au toit l?ger,
Ni ce jardin, o? le ciel trame
Ce climat cher ? nos deux ?mes.
Quoique nous le voyions fleurir devant nos yeux,
Ce jardin clair o? nous passons silencieux,
C’est plus encore en nous que se f?conde
Le plus joyeux et le plus doux jardin du monde.
Car nous vivons toutes les fleurs,
Toutes les herbes, toutes les palmes
En nos rires et en nos pleurs
De bonheur pur et calme.
Car nous vivons toutes les transparences
De l’?tang bleu qui refl?te l’exub?rance
Des roses d’or et des grands lys vermeils:
Bouches et l?vres de soleil.
Car nous vivons toute la joie
Dard?e en cris de f?te et de printemps,
En nos aveux, o? se c?toient
Les mots fervents et exaltants.
Oh! dis, c’est bien en nous que se f?conde
Le plus joyeux et clair jardin du monde.
Ce chapiteau barbare, o? des monstres se tordent,
Soud?s entre eux, ? coups de griffes et de dents,
En un tumulte fou de sang, de cris ardents,
De blessures et de gueules qui s’entre-mordent,
C’?tait moi-m?me, avant que tu fusses la mienne,
O toi la neuve, ? toi l’ancienne!
Qui vins ? moi des loins d’?ternit?,
Avec, entre tes mains, l’ardeur et la bont?.
Je sens en toi les m?mes choses tr?s profondes
Qu’en moi-m?me dormir
Et notre soif de souvenir
Boire l’?cho, o? nos pass?s se correspondent.
Nos yeux ont d? pleurer aux m?mes heures,
Sans le savoir, pendant l’enfance:
Avoir m?mes effrois, m?mes bonheurs,
M?mes ?clairs de confiance:
Car je te suis li? par l’inconnu
Qui me fixait, jadis au fond des avenues
Par o? passait ma vie aventuri?re,
Et, certes, si j’avais regard? mieux,
J’aurais pu voir s’ouvrir tes yeux
Depuis longtemps en ses paupi?res.
Le ciel en nuit s’est d?pli?
Et la lune semble veiller
Sur le silence endormi.
Tout est si pur et clair,
Tout est si pur et si p?le dans l’air
Et sur les lacs du paysage ami,
Qu’elle angoisse, la goutte d’eau
Qui tombe d’un roseau
Et tinte et puis se tait dans l’eau.
Mais j’ai tes mains entre les miennes
Et tes yeux s?rs, qui me retiennent,
De leurs ferveurs, si doucement;
Et je te sens si bien en paix de toute chose,
Que rien, pas m?me un fugitif soup?on de crainte,
Ne troublera, f?t-ce un moment,
La confiance sainte
Qui dort en nous comme un enfant repose.
Chaque heure, o? je pense ? ta bont?
Si simplement profonde,
Je me confonds en pri?res vers toi.
Je suis venu si tard
Vers la douceur de ton regard
Et de si loin, vers tes deux mains tendues,
Tranquillement, par ? travers les ?tendues!
J’avais en moi tant de rouille tenace
Qui me rongeait, ? dents rapaces,
La confiance;
J’?tais si lourd, j’?tais si las,
J’?tais si vieux de m?fiance,
J’?tais si lourd, j’?tais si las
Du vain chemin de tous mes pas.
Je m?ritais si peu la merveilleuse joie
De voir tes pieds illuminer ma voie,
Que j’en reste tremblant encore et presqu’en pleurs,
Et humble, ? tout jamais, en face du bonheur.
Tu arbores parfois cette gr?ce b?nigne
Du matinal jardin tranquille et sinueux
Qui d?roule, l?-bas, parmi les lointains bleus,
Ses doux chemins courb?s en cols de cygne.
Et, d’autres fois, tu m’es le frisson clair
Du vent rapide et miroitant
Qui passe, avec ses doigts d’?clair,
Dans les crins d’eau de l’?tang blanc.
Au bon toucher de tes deux mains,
Je sens comme des feuilles
Me doucement fr?ler;
Que midi br?le le jardin.
Les ombres, aussit?t recueillent
Les paroles ch?res dont ton ?tre a trembl?.
Chaque moment me semble, gr?ce ? toi,
Passer ainsi divinement en moi.
Aussi, quand l’heure vient de la nuit bl?me,
O? tu te c?les en toi-m?me,
En refermant les yeux,
Sens-tu mon doux regard d?votieux,
Plus humble et long qu’une pri?re,
Remercier le tien sous tes closes paupi?res?
Oh! laisse frapper ? la porte
La main qui passe avec ses doigts futiles;
Notre heure est si unique, et le reste qu’importe,
Le reste, avec ses doigts futiles.
Laisse passer, par le chemin,
La triste et fatigante joie,
Avec ses cr?celles en mains.
Laisse monter, laisse bruire
Et s’en aller le rire;
Laisse passer la foule et ses milliers de voix.
L’instant est si beau de lumi?re,
Dans le jardin, autour de nous,
L’instant est si rare de lumi?re tr?mi?re,
Dans notre coeur, au fond de nous.
Tout nous pr?che de n’attendre plus rien
De ce qui vient ou passe,
Avec des chansons lasses
Et des bras las par les chemins.
Et de rester les doux qui b?nissons le jour.
M?me devant la nuit d’ombre barricad?e,
Aimant en nous, par dessus tout, l’id?e
Que bellement nous nous faisons de notre amour.
Comme aux ?ges na?fs, je t’ai donn? mon coeur,
Ainsi qu’une ample fleur
Qui s’ouvre, au clair de la ros?e;
Entre ses plis fr?les, ma bouche s’est pos?e.
La fleur, je la cueillis au pr? des fleurs en flamme;
Ne lui dis rien: car la parole entre nous deux
Serait banale, et tous les mots sont hasardeux.
C’est ? travers les yeux que l’?me ?coute une ?me.
La fleur qui est mon coeur et mon aveu,
Tout simplement, ? tes l?vres confie
Qu’elle est loyale et claire et bonne, et qu’on se fie
Au vierge amour, comme un enfant se fie ? Dieu.
Laissons l’esprit fleurir sur les collines,
En de capricieux chemins de vanit?;
Et faisons simple accueil ? la sinc?rit?
Qui tient nos deux coeurs clairs, en ses mains cristallines;
Et rien n’est beau comme une confession d’?mes,
L’une ? l’autre, le soir, lorsque la flamme
Des incomptables diamants
Br?le, comme autant d’yeux
Silencieux,
Le silence des firmaments.
Le printemps jeune et b?n?vole
Qui v?t le jardin de beaut?
Elucide nos voix et nos paroles
Et les trempe dans sa limpidit?.
La brise et les l?vres des feuilles
Babillent–et effeuillent
En nous les syllabes de leur clart?.
Mais le meilleur de nous se gare
Et fuit les mots mat?riels;
Un simple et doux ?lan muet
Mieux que tout verbe amarre
Notre bonheur ? son vrai ciel:
Celui de ton ?me, ? deux genoux,
Tout simplement, devant la mienne,
Et de mon ?me, ? deux genoux,
Tr?s doucement, devant la tienne.
Viens lentement t’asseoir
Pr?s du parterre, dont le soir
Ferme les fleurs de tranquille lumi?re,
Laisse filtrer la grande nuit en toi:
Nous sommes trop heureux pour que sa mer d’effroi
Trouble notre pri?re.
L?-haut, le pur cristal des ?toiles s’?claire.
Voici le firmament plus net et translucide
Qu’un ?tang bleu ou qu’un vitrail d’abside;
Et puis voici le ciel qui regarde ? travers.
Les mille voix de l’?norme myst?re
Parlent autour de toi.
Les mille lois de la nature enti?re
Bougent autour de toi,
Les arcs d’argent de l’invisible
Prennent ton ?me et son ?lan pour cible,
Mais tu n’as peur, oh! simple coeur,
Mais tu n’as peur, puisque ta foi
Est que toute la terre collabore
A cet amour que fit ?clore
La vie et son myst?re en toi.
Joins donc les mains tranquillement
Et doucement adore;
Un grand conseil de puret?
Et de divine intimit?
Flotte, comme une ?trange aurore,
Sous les minuits du firmament.
Combien elle est facilement ravie,
Avec ses yeux d’extase ign?e,
Elle, la douce et r?sign?e
Si simplement devant la vie.
Ce soir, comme un regard la surprenait fervente,
Et comme un mot la transportait
Au pur jardin de joie, o? elle ?tait
Tout ? la fois reine et servante.
Humble d’elle, mais ardente de nous,
C’?tait ? qui ploierait les deux genoux,
Pour recueillir le merveilleux bonheur
Qui, mutuel, nous d?bordait du coeur.
Nous ?coutions se taire, en nous, la violence
De l’exaltant amour qu’emprisonnaient nos bras
Et le vivant silence
Dire des mots que nous ne savions pas.
Au temps o? longuement j’avais souffert
O? les heures m’?taient des pi?ges,
Tu m’apparus l’accueillante lumi?re
Qui luit, aux fen?tres, l’hiver,
Au fonds des soirs, sur de la neige.
Ta clart? d’?me hospitali?re
Fr?la, sans le blesser, mon coeur,
Comme une main de tranquille chaleur;
Un espoir ti?de, un mot cl?ment,
P?n?tr?rent en moi tr?s lentement;
Puis vint la bonne confiance
Et la franchise et la tendresse et l’alliance,
Enfin, de nos deux mains amies,
Un soir de claire entente et de douce accalmie.
Depuis, bien que l’?t? ait succ?d? au gel,
En nous-m?mes et sous le ciel,
Dont les flammes ?ternis?es
Pavoisent d’or tous les chemins de nos pens?es,
Et que l’amour soit devenu la fleur immense,
Naissant du fier d?sir,
Qui, sans cesse, pour mieux encor grandir,
En notre coeur, se recommence,
Je regarde toujours la petite lumi?re
Qui me fut douce, la premi?re.
Je ne d?taille pas, ni quels nous sommes
L’un pour l’autre, ni les pourquois, ni les raisons:
Tout doute est mort, en ce jardin de floraisons
Qui s’ouvre en nous et hors de nous, si loin des hommes.
Je ne raisonne pas, et ne veux pas savoir,
Et rien ne troublera ce qui n’est que myst?re
Et qu’?lans doux et que ferveur involontaire
Et que tranquille essor vers nos parvis d’espoir.
Je te sens claire avant de te comprendre telle;
Et c’est ma joie, infiniment,
De m’?prouver si doucement aimant,
Sans demander pourquoi ta voix m’appelle.
Soyons simples et bons–et que le jour
Nous soit tendresse et lumi?re servies,
Et laissons dire que la vie
N’est point faite pour un pareil amour.
A ces reines qui lentement descendent
Les escaliers en ors et fleurs de la l?gende,
Dans mon r?ve, parfois, je t’apparie;
Je te donne des noms qui se marient
A la clart?, ? la splendeur et ? la joie,
Et bruissent en syllabes de soie,
Au long des vers b?tis comme une estrade
Pour la danse des mots et leurs belles parades.
Mais combien vite on se lasse du jeu,
A te voir douce et profonde et si peu
Celle dont on enjolive les attitudes;
Ton front si clair et pur et blanc de certitude,
Tes douces mains d’enfant en paix sur tes genoux,
Tes seins se soulevant au rythme de ton pouls
Qui bat comme ton coeur immense et ing?nu,
Oh! comme tout, hormis cela et ta pri?re,
Oh! comme tout est pauvre et vain, hors la lumi?re
Qui me regarde et qui m’accueille en tes yeux nus.
Je d?die ? tes pleurs, ? ton sourire,
Mes plus douces pens?es,
Celles que je te dis, celles aussi
Qui demeurent impr?cis?es
Et trop profondes pour les dire.
Je d?die ? tes pleurs, ? ton sourire
A toute ton ?me, mon ?me,
Avec ses pleurs et ses sourires
Et son baiser.
Vois-tu, l’aurore na?t sur la terre effac?e,
Des liens d’ombre semblent glisser
Et s’en aller, avec m?lancolie;
L’eau des ?tangs s’?coule et tamise son bruit,
L’herbe s’?claire et les corolles se d?plient,
Et les bois d’or se d?senlacent de la nuit.
Oh! dis, pouvoir un jour,
Entrer ainsi dans la pleine lumi?re;
Oh! dis, pouvoir un jour
Avec toutes les fleurs de nos ?mes tr?mi?res,
Sans plus aucun voile sur nous,
Sans plus aucun myst?re en nous,
Oh dis, pouvoir, un jour,
Entrer ? deux dans le lucide amour!
Je noie en tes deux yeux mon ?me toute enti?re
Et l’?lan fou de cette ?me ?perdue,
Pour que, plong?e en leur douceur et leur pri?re,
Plus claire et mieux tremp?e, elle me soit rendue.
S’unir pour ?purer son ?tre,
Comme deux vitraux d’or en une m?me abside
Croisent leurs feux diff?remment lucides
Et se p?n?trent!
Je suis parfois si lourd, si las,
D’?tre celui qui ne sait pas
Etre parfait, comme il se veut!
Mon coeur se bat contre ses voeux,
Mon coeur dont les plantes mauvaises,
Entre des rocs d’ent?tement,
Dressent, sournoisement,
Leurs fleurs d’encre ou de braise;
Mon coeur si faux, si vrai, selon les jours,
Mon coeur contradictoire,
Mon coeur exag?r? toujours
De joie immense ou de crainte attentatoire.
Pour nous aimer des yeux,
Lavons nos deux regards, de ceux
Que nous avons crois?s, par milliers, dans la vie
Mauvaise et asservie.
L’aube est en fleur et en ros?e
Et en lumi?re tamis?e
Tr?s douce:
On croirait voir de molles plumes
D’argent et de soleil, ? travers brumes,
Fr?ler et caresser, dans le jardin, les mousses.
Nos bleus et merveilleux ?tangs
Tremblent et s’animent d’or miroitant,
Des vols ?meraud?s, sous les arbres, circulent;
Et la clart?, hors des chemins, des clos, des haies,
Balaie
La cendre humide, o? tra?ne encor le cr?puscule.
Au clos de notre amour, l’?t? se continue:
Un paon d’or, l?-bas traverse une avenue;
Des p?tales pavoisent,
–Perles, ?meraudes, turquoises–
L’uniforme sommeil des gazons verts;
Nos ?tangs bleus luisent, couverts
Du baiser blanc des n?nuphars de neige;
Aux quinconces, nos groseillers font des cort?ges;
Un insecte de prisme irrite un coeur de fleur;
De merveilleux sous-bois se jaspent de lueurs;
Et, comme des bulles l?g?res, mille abeilles
Sur des grappes d’argent, vibrent, au long des treilles.
L’air est si beau qu’il para?t chatoyant;
Sous les midis profonds et radiants,
On dirait qu’il remue en roses de lumi?re;
Tandis qu’au loin, les routes coutumi?res,
Telles de lents gestes qui s’allongent vermeils,
A l’horizon nacr?, montent vers le soleil.
Certes, la robe en diamants du bel ?t?
Ne v?t aucun jardin d’aussi pure clart?;
Et c’est la joie unique ?close en nos deux ?mes
Qui reconnait sa vie en ces bouquets de flammes.
Que tes yeux clairs, tes yeux d’?t?,
Me soient, sur terre,
Les images de la bont?.
Laissons nos ?mes embras?es
Exalter d’or chaque flamme de nos pens?es.
Que mes deux mains contre ton coeur
Te soient, sur terre,
Les embl?mes de la douceur.
Vivons pareils ? deux pri?res ?perdues
L’une vers l’autre, ? toute heure, tendues.
Que nos baisers sur nos bouches ravies
Nous soient sur terre,
Les symboles de notre vie.
Dis-moi, ma simple et ma tranquille amie,
Dis, combien l’absence, m?me d’un jour,
Attriste et attise l’amour
Et le r?veille, en ses br?lures endormies.
Je m’en vais au devant de ceux
Qui reviennent des lointains merveilleux,
O?, d?s l’aube, tu es all?e;
Je m’assieds sous un arbre, au d?tour de l’all?e,
Et, sur la route, ?piant leur venue,
Je regarde et regarde, avec ferveur, leurs yeux
Encore clairs de t’avoir vue.
Et je voudrais baiser leurs doigts qui t’ont touch?e,
Et leur crier des mots qu’ils ne comprendraient pas,
Et j’?coute longtemps se cadencer leurs pas
Vers l’ombre, o? les vieux soirs tiennent la nuit pench?e.
En ces heures o? nous sommes perdus
Si loin de tout ce qui n’est pas nous-m?mes.
Quel sang lustral ou quel bapt?me
Baigne nos coeurs vers tout l’amour tendus?
Joignant les mains, sans que l’on prie,
Tendant les bras, sans que l’on crie,
Mais adorant on ne sait quoi
De plus lointain et de plus pur que soi,
L’esprit fervent et ing?nu,
Dites, comme on se fond, comme on se vit dans l’inconnu.
Comme on s’ab?me en la pr?sence
De ces heures de supr?me existence,
Comme l’?me voudrait des cieux
Pour y chercher de nouveaux dieux,
Oh! l’angoissante et merveilleuse joie
Et l’esp?rance audacieuse
D’?tre, un jour, ? travers la mort m?me, la proie
De ces affres silencieuses.
Oh! ce bonheur
Si rare et si fr?le parfois
Qu’il nous fait peur!
Nous avons beau taire nos voix,
Et nous faire comme une tente,
Avec toute ta chevelure,
Pour nous cr?er un abri s?r,
Souvent l’angoisse en nos ?mes fermente.
Mais notre amour ?tant comme un ange ? genoux,
Prie et supplie,
Que l’avenir donne ? d’autres que nous
M?me tendresse et m?me vie,
Pour que leur sort de notre sort ne soit jaloux.
Et puis, aux jours mauvais, quand les grands soirs
Illimitent, jusques au ciel, le d?sespoir,
Nous demandons pardon ? la nuit qui s’enflamme
De la douceur de notre ?me.
Vivons, dans notre amour et notre ardeur,
Vivons si hardiment nos plus belles pens?es
Qu’elles s’entrelacent, harmonis?es
A l’extase supr?me et l’enti?re ferveur.
Parce qu’en nos ?mes pareilles,
Quelque chose de plus sacr? que nous
Et de plus pur et de plus grand s’?veille,
Joignons les mains pour l’adorer ? travers nous.
Il n’importe que nous n’ayons que cris ou larmes
Pour humblement le d?finir,
Et que si rare et si puissant en soit le charme,
Qu’? le go?ter, nos coeurs soient pr?ts ? d?faillir.
Restons quand m?me et pour toujours, les fous
De cet amour presqu’implacable,
Et les fervents, ? deux genoux,
Du Dieu soudain qui r?gne en nous,
Si violent et si ardemment doux
Qu’il nous fait mal et nous accable.
Sit?t que nos bouches se touchent,
Nous nous sentons tant plus clairs de nous-m?mes
Que l’on dirait des Dieux qui s’aiment
Et qui s’unissent en nous-m?mes;
Nous nous sentons le coeur si divinement frais
Et si renouvel? par leur lumi?re
Premi?re
Que l’univers, sous leur clart?, nous appara?t.
La joie est ? nos yeux l’unique fleur du monde
Qui se prodigue et se f?conde,
Innombrable, sur nos routes d’en bas;
Comme l? haut, par tas,
En des pays de soie o? voyagent des voiles
Brille la fleur myriadaire des ?toiles.
L’ordre nous ?blouit, comme les feux, la cendre,
Tout nous ?claire et nous para?t: flambeau;
Nos plus simples mots ont un sens si beau
Que nous les r?p?tons pour les sans cesse entendre.
Nous sommes les victorieux sublimes
Qui conqu?rons l’?ternit?,
Sans nul orgueil et sans songer au temps minime:
Et notre amour nous semble avoir toujours ?t?.
Pour que rien de nous deux n’?chappe ? notre ?treinte,
Si profonde qu’elle en est sainte
Et qu’? travers le corps m?me, l’amour soit clair,
Nous descendons ensemble au jardin de ta chair.
Tes seins sont l?, ainsi que des offrandes,
Et tes deux mains me sont tendues;
Et rien ne vaut la na?ve provende
Des paroles dites et entendues.
L’ombre des rameaux blancs voyage
Parmi ta gorge et ton visage
Et tes cheveux d?nouent leur floraison,
En guirlandes, sur les gazons.
La nuit est toute d’argent bleu,
La nuit est un beau lit silencieux,
La nuit douce, dont les brises vont, une ? une,
Effeuiller les grands lys dard?s au clair de lune.
Bien que d?j?, ce soir,
L’automne
Laisse aux sentes et aux or?es,
Comme des mains dor?es,
Lentes, les feuilles choir;
Bien que d?j? l’automne,
Ce soir, avec ses bras de vent,
Moissonne
Sur les rosiers fervents,
Les p?tales et leur p?leur,
Ne laissons rien de nos deux ?mes
Tomber soudain avec ces fleurs.
Mais tous les deux autour des flammes
De l’?tre en or du souvenir,
Mais tous les deux blottissons-nous,
Les mains au feu et les genoux.
Contre les deuils ? craindre ou ? venir,
Contre le temps qui fixe ? toute ardeur sa fin,
Contre notre terreur, contre nous-m?mes, enfin,
Blottissons-nous, pr?s du foyer,
Que la m?moire en nous fait flamboyer.
Et si l’automne ob?re
A grands pans d’ombre et d’orages pl?nants,
Les bois, les pelouses et les ?tangs,
Que sa douleur du moins n’alt?re
L’int?rieur jardin tranquillis?,
O? s’unissent, dans la lumi?re,
Les pas ?gaux de nos pens?es.
Le don du corps, lorsque l’?me est donn?e
N’est rien que l’aboutissement
De deux tendresses entra?n?es
L’une vers l’autre, ?perd?ment.
Tu n’es heureuse de ta chair
Si simple, en sa beaut? natale,
Que pour, avec ferveur, m’en faire
L’offre compl?te et l’aum?ne totale.
Et je me donne ? toi, ne sachant rien
Sinon que je m’exalte ? te conna?tre,
Toujours meilleure et plus pure peut-?tre
Depuis que ton doux corps offrit sa f?te au mien.
L’amour, oh! qu’il nous soit la clairvoyance
Unique, et l’unique raison du coeur,
A nous, dont le plus fol bonheur
Est d’?tre fous de confiance.
F?t-il en nous une seule tendresse,
Une pens?e, une joie, une promesse,
Qui n’all?t, d’elle-m?me, au devant de nos pas?
F?t-il une pri?re en secret entendue,
Dont nous n’ayons serr? les mains tendues
Avec douceur, sur notre sein?
F?t-il un seul appel, un seul dessein,
Un voeu tranquille ou violent
Dont nous n’ayons ?panoui l’?lan?
Et, nous aimant ainsi,
Nos coeurs s’en sont all?s, tels des ap?tres,
Vers les doux coeurs timides et transis
Des autres:
Ils les ont convi?s, par la pens?e,
A se sentir aux n?tres fianc?s,
A proclamer l’amour avec des ardeurs franches,
Comme un peuple de fleurs aime la m?me branche
Qui le suspend et le baigne dans le soleil;
Et notre ?me, comme agrandie, en cet ?veil,
S’est mise ? c?l?brer tout ce qui aime,
Magnifiant l’amour pour l’amour m?me,
Et ? ch?rir, divinement, d’un d?sir fou,
Le monde entier qui se r?sume en nous.
Le beau jardin fleuri de flammes
Qui nous semblait le double ou le miroir,
Du jardin clair que nous portions dans l’?me,
Se cristallise en gel et or, ce soir.
Un grand silence blanc est descendu s’asseoir
L?-bas, aux horizons de marbre,
Vers o? s’en vont, par d?fil?s, les arbres
Avec leur ombre immense et bleue
Et r?guli?re, ? c?t? d’eux.
Aucun souffle de vent, aucune haleine.
Les grands voiles du froid,
Se d?plient seuls, de plaine en plaine,
Sur des marais d’argent ou des routes en croix.
Les ?toiles paraissent vivre.
Comme l’acier, brille le givre,
A travers l’air translucide et glac?.
De clairs m?taux pulv?ris?s
A l’infini, semblent neiger
De la p?leur d’une lune de cuivre.
Tout est scintillement dans l’immobilit?.
Et c’est l’heure divine, o? l’esprit est hant?
Par ces mille regards que projette sur terre,
Vers les hasards de l’humaine mis?re,
La bonne et pure et inchangeable ?ternit?.
S’il arrive jamais
Que nous soyons, sans le savoir,
Souffrance ou peine ou d?sespoir,
L’un pour l’autre; s’il se faisait
Que la fatigue ou le banal plaisir
D?tendissent en nous l’arc d’or du haut d?sir;
Si le cristal de la pure pens?e
De notre amour doit se briser,
Si malgr? tout, je me sentais
Vaincu pour n’avoir pas ?t?
Assez en proie ? la divine immensit?
De la bont?;
Alors, oh! serrons-nous comme deux fous sublimes
Qui sous les cieux cass?s, se cramponnent aux cimes
Quand m?me.–Et d’un unique essor
L’?me en soleil, s’exaltent dans la mort.
(Emile Verhaeren)
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