O jours de mon printemps, jours couronn?s de rose,
A votre fuite en vain un long regret s’oppose,
Beaux jours, quoique souvent obscurcis de mes pleurs,
Vous dont j’ai su jouir m?me au sein des douleurs,
Sur ma t?te bient?t vos fleurs seront fan?es,
H?las! bient?t le flux des rapides ann?es
Vous aura loin de moi fait voler sans retour.
Oh! si du moins alors je pouvais ? mon tour,
Champ?tre possesseur, dans mon humble chaumi?re
Offrir ? mes amis une ombre hospitali?re;
Voir mes lares charm?s, pour les bien recevoir,
A de joyeux banquets la nuit les faire asseoir;
Et l? nous souvenir, au milieu de nos f?tes,
Combien chez eux longtemps, dans leurs belles retraites,
Soit sur ces bords heureux, opulents avec choix,
O? Montigny s’enfonce en ses antiques bois,
Soit o? la Marne lente, en un long cercle d’?les,
Ombrage de bosquets l’herbe et les pr?s fertiles,
J’ai su, pauvre et content, savourer ? longs traits
Les muses, les plaisirs, et l’?tude et la paix!
Qui ne sait ?tre pauvre est n? pour l’esclavage.
Qu’il serve donc les grands, les flatte, les m?nage;
Qu’il plie, en approchant de ces superbes fronts,
Sa t?te ? la pri?re, et son ?me aux affronts,
Pour qu’il puisse, enrichi de ces affronts utiles,
Enrichir ? son tour quelques t?tes serviles.
De ses honteux tr?sors je ne suis point jaloux.
Une pauvret? libre est un tr?sor si doux!
Il est si doux, si beau de s’?tre fait soi-m?me;
De devoir tout ? soi, tout aux beaux-arts qu’on aime;
Vraie abeille en ses dons, en ses soins, en ses moeurs,
D’avoir su se b?tir, des d?pouilles des fleurs,
Sa cellule de cire, industrieux asile
O? l’on coule une vie innocente et facile;
De ne point vendre aux grands ses hymnes avilis;
De n’offrir qu’aux talents de vertus ennoblis,
Et qu’? l’amiti? douce et qu’aux douces faiblesses,
D’un encens libre et pur les honn?tes caresses!
Ainsi l’on dort tranquille, et, dans son saint loisir,
Devant son propre coeur on n’a point ? rougir.
Si le sort ennemi m’assi?ge et me d?sole,
On pleure; mais bient?t la tristesse s’envole,
Et les arts, dans un coeur de leur amour rempli,
Versent de tous les maux l’indiff?rent oubli.
Les d?lices des arts ont nourri mon enfance.
Tant?t, quand d’un ruisseau, suivi d?s sa naissance,
La nymphe aux pieds d’argent a sous de longs berceaux
Fait serpenter ensemble et mes pas et ses eaux,
Ma main donne au papier, sans travail, sans ?tude,
Des vers fils de l’amour et de la solitude.
Tant?t de mon pinceau les timides essais
Avec d’autres couleurs cherchent d’autres succ?s.
Ma toile avec Sapho s’attendrit et soupire;
Elle rit et s’?gaye aux danses du satyre;
Ou l’aveugle Ossian y vient pleurer ses yeux,
Et pense voir et voit ses antiques a?eux
Qui, dans l’air appel?s ? ses hymnes sauvages,
Arr?tent pr?s de lui leurs palais de nuages.
Beaux-arts, ? de la vie aimables enchanteurs,
Des plus sombres ennuis riants consolateurs,
Amis s?rs dans la peine et constantes ma?tresses,
Dont l’or n’ach?te point l’amour ni les caresses,
Beaux-arts, dieux bienfaisants, vous que vos favoris
Par un indigne usage ont tant de fois fl?tris,
Je n’ai point partag? leur honte trop commune.
Sur le front des ?poux de l’aveugle fortune
Je n’ai point fait ramper vos lauriers trop jaloux;
J’ai respect? les dons que j’ai re?us de vous.
Je ne vais point, ? prix de mensonges serviles,
Vous marchander au loin des r?compenses viles,
Et partout, de mes vers ambitieux lecteur,
Faire trouver charmant mon luth adulateur.
Abel, mon jeune Abel, et Trudaine et son fr?re,
Ces vieilles amiti?s de l’enfance premi?re,
Quand tous quatre, muets, sous un ma?tre inhumain,
Jadis au ch?timent nous pr?sentions la main;
Et mon fr?re et Lebrun, les muses elles-m?mes;
De Pange, fugitif de ces neuf soeurs qu’il aime:
Voil? le cercle entier qui, le soir, quelquefois,
A des vers non sans peine obtenus de ma voix,
Pr?te une oreille amie et cependant s?v?re.
Puiss?-je ainsi toujours dans cette troupe ch?re
Me revoir, chaque fois que mes avides yeux
Auront port? longtemps mes pas de lieux en lieux,
Amant des nouveaut?s compagnes de voyage;
Courant partout, partout cherchant ? mon passage
Quelque ange aux yeux divins qui veuille me charmer,
Qui m’?coute ou qui m’aime, ou qui se laisse aimer!
(Andre Marie de Chenier)
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