Non, je ne l’aime plus; un autre la poss?de.
On s’accoutume au mal que l’on voit sans rem?de.
De ses caprices vains je ne veux plus souffrir:
Mon ?l?gie en pleurs ne sait plus l’attendrir.
Allez, Muses, partez. Votre art m’est inutile;
Que me font vos lauriers? vous laissez fuir Camille.
Pr?s d’elle je voulais vous avoir pour soutien.
Allez, Muses, partez, si vous n’y pouvez rien.
Voil? donc comme on aime! On vous tient, vous caresse,
Sur les l?vres toujours on a quelque promesse!
Et puis… Ah! laissez-moi, souvenirs ennemis,
Projets, attente, espoir, qu’elle m’avait permis.
‘Nous irons au hameau. Loin, bien loin de la ville,
Ignor?s et contents, un silence tranquille
Ne montrera qu’au ciel notre asile ?cart?.
L? son ?me viendra m’aimer en libert?. Fuyant d’un luxe vain l’entrave imp?rieuse,
Sans suite, sans t?moins, seule et myst?rieuse,
Jamais d’un oeil mortel un regard indiscret
N’osera la conna?tre et savoir son secret.
Seul je vivrai pour elle, et mon ?me empress?e ?piera ses d?sirs, ses besoins, sa pens?e.
C’est moi qui ferai tout; moi qui de ses cheveux
Sur sa t?te le soir assemblerai les noeuds.
Sa table par mes mains sera pr?te et choisie;
L’eau pure, de ma main, lui sera l’ambroisie.
Seul, c’est moi qui serai partout, ? tout moment,
Son esclave fid?le et son fid?le amant.’
Tels ?taient mes projets qu’insens?s et volages
Le vent a dissip?s parmi de vains nuages!
Ah! quand d’un long espoir on flatta ses d?sirs,
On n’y renonce point sans peine et sans soupirs.
Que de fois je t’ai dit: ‘Garde d’?tre inconstante,
Le monde entier d?teste une parjure amante;
Fais-moi plut?t g?mir sous des glaives sanglants,
Avec le feu plut?t d?chire-moi les flancs.’
O honte! A deux genoux j’exprimais ces alarmes;
J’allais couvrant tes pieds de baisers et de larmes,
Tu me priais alors de cesser de pleurer:
En foule tes serments venaient me rassurer,
Mes craintes t’offensaient; tu n’?tais pas de celles
Qui font jeu de courir ? des flammes nouvelles:
Mille sceptres offerts pour ?branler ta foi,
E?t-ce ?t? rien au prix du bonheur d’?tre ? moi?
Avec de tels discours, ah! tu m’aurais fait croire
Aux clart?s du soleil dans la nuit la plus noire.
Tu pleurais m?me; et moi, lent ? me d?fier,
J’allais avec le lin dans tes yeux essuyer
Ces larmes lentement et malgr? toi s?ch?es;
Et je baisais ce lin qui les avait touch?es.
Bien plus, pauvre insens?! j’en rougis: mille fois
Ta louange a mont? ma lyre avec ma voix.
Je voudrais que Vulcain, et l’onde o? tout s’oublie,
E?t consum? ces vers t?moins de ma folie.
La m?me lyre encor pourrait bien me venger,
Perfide! Mais, non, non, il faut n’y plus songer.
Quoi! toujours un soupir vers elle me ram?ne!
Allons! Ha?ssons-la, puisqu’elle veut ma haine.
Oui, je la hais. Je jure… Eh! serments superflus!
N’ai-je pas dit assez que je ne l’aimais plus?
(Andre Marie de Chenier)
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