‘Apollon, dieu sauveur, dieu des savants myst?res,
Dieu de la vie, et dieu des plantes salutaires,
Dieu vainqueur de Python, dieu jeune et triomphant,
Prends piti? de mon fils, de mon unique enfant!
Prends piti? de sa m?re aux larmes condamn?e,
Qui ne vit que pour lui, qui meurt abandonn?e,
Qui n’a pas d? rester pour voir mourir son fils!
Dieu jeune, viens aider sa jeunesse. Assoupis,
Assoupis dans son sein cette fi?vre br?lante
Qui d?vore la fleur de sa vie innocente.
Apollon! si jamais, ?chapp? du tombeau,
Il retourne au M?nale avoir soin du troupeau,
Ces mains, ces vieilles mains orneront ta statue
De ma coupe d’onyx ? tes pieds suspendue;
Et, chaque ?t? nouveau, d’un jeune taureau blanc
La hache ? ton autel fera couler le sang.
Eh bien, mon fils, es-tu toujours impitoyable?
Ton funeste silence est-il inexorable?
Enfant, tu veux mourir? Tu veux, dans ses vieux ans,
Laisser ta m?re seule avec ses cheveux blancs?
Tu veux que ce soit moi qui ferme ta paupi?re?
Que j’unisse ta cendre ? celle de ton p?re?
C’est toi qui me devais ces soins religieux,
Et ma tombe attendait tes pleurs et tes adieux.
Parle, parle, mon fils! quel chagrin te consume?
Les maux qu’on dissimule en ont plus d’amertume.
Ne l?veras-tu point ces yeux appesantis?
–Ma m?re, adieu; je meurs, et tu n’as plus de fils.
Non, tu n’as plus de fils, ma m?re bien-aim?e.
Je te perds. Une plaie ardente, envenim?e,
Me ronge; avec effort je respire, et je crois
Chaque fois respirer pour la derni?re fois.
Je ne parlerai pas. Adieu; ce lit me blesse,
Ce tapis qui me couvre accable ma faiblesse;
Tout me p?se et me lasse. Aide-moi, je me meurs.
Tourne-moi sur le flanc. Ah! j’expire! ? douleurs!
–Tiens, mon unique enfant, mon fils, prends ce breuvage;
Sa chaleur te rendra ta force et ton courage.
La mauve, le dictame ont, avec les pavots,
M?l? leurs sucs puissants qui donnent le repos;
Sur le vase bouillant, attendrie ? mes larmes,
Une Thessalienne a compos? des charmes.
Ton corps d?bile a vu trois retours du soleil
Sans conna?tre C?r?s, ni tes yeux le sommeil.
Prends, mon fils, laisse-toi fl?chir ? ma pri?re;
C’est ta m?re, ta vieille inconsolable m?re
Qui pleure, qui jadis te guidait pas ? pas,
T’asseyait sur son sein, te portait dans ses bras,
Que tu disais aimer, qui t’apprit ? le dire,
Qui chantait, et souvent te for?ait ? sourire
Lorsque tes jeunes dents, par de vives douleurs,
De tes yeux enfantins faisaient couler des pleurs.
Tiens, presse de ta l?vre, h?las! p?le et glac?e,
Par qui cette mamelle ?tait jadis press?e;
Que ce suc te nourrisse et vienne ? ton secours,
Comme autrefois mon lait nourrit tes premiers jours!
–O coteaux d’?rymanthe! ? vallons! ? bocage!
O vent sonore et frais qui troublais le feuillage,
Et faisais fr?mir l’onde, et sur leur jeune sein
Agitais les replis de leur robe de lin!
De l?g?res beaut?s troupe agile et dansante …
Tu sais, tu sais, ma m?re? aux bords de l’?rymanthe …
L?, ni loups ravisseurs, ni serpents, ni poisons …
O visage divin! ? f?tes! ? chansons!
Des pas entrelac?s, des fleurs, une onde pure,
Aucun lieu n’est si beau dans toute la nature.
Dieux! ces bras et ces flancs, ces cheveux, ces pieds nus
Si blancs, si d?licats!… Je ne te verrai plus!
Oh! portez, portez-moi sur les bords d’?rymanthe,
Que je la voie encor, cette vierge dansante!
Oh! que je voie au loin la fum?e ? longs flots
S’?lever de ce toit au bord de cet enclos!
Assise ? tes c?t?s, ses discours, sa tendresse,
Sa voix, trop heureux p?re! enchante ta vieillesse,
Dieux! par-dessus la haie ?lev?e en remparts,
Je la vois, ? pas lents, en longs cheveux ?pars,
Seule, sur un tombeau, pensive, inanim?e,
S’arr?ter et pleurer sa m?re bien-aim?e.
Oh! que tes yeux sont doux! que ton visage est beau!
Viendras-tu point aussi pleurer sur mon tombeau?
Viendras-tu point aussi, la plus belle des belles,
Dire sur mon tombeau: Les Parques sont cruelles!
–Ah! mon fils, c’est l’amour, c’est l’amour insens? Qui t’a jusqu’? ce point cruellement bless?? Ah! mon malheureux fils! Oui, faibles que nous sommes,
C’est toujours cet amour qui tourmente les hommes.
S’ils pleurent en secret, qui lira dans leur coeur
Verra que c’est toujours cet amour en fureur.
Mais, mon fils, mais dis-moi, quelle belle dansante,
Quelle vierge as-tu vue au bord de l’?rymanthe?
N’es-tu pas riche et beau? du moins quand la douleur
N’avait point de ta joue ?teint la jeune fleur!
Parle. Est-ce cette Egl?, fille du roi des ondes,
Ou cette jeune Ir?ne aux longues tresses blondes?
Ou ne sera-ce point cette fi?re beaut?
Dont j’entends le beau nom chaque jour r?p?t?, Dont j’apprends que partout les belles sont jalouses?
Qu’aux temples, aux festins, les m?res, les ?pouses,
Ne sauraient voir, dit-on, sans peine et sans effroi?
Cette belle Daphn??….–Dieux! ma m?re, tais-toi,
Tais-toi. Dieux! qu’as-tu dit? Elle est fi?re, inflexible;
Comme les immortels, elle est belle et terrible!
Mille amants l’ont aim?e; ils l’ont aim?e en vain.
Comme eux j’aurais trouv? quelque refus hautain.
Non, garde que jamais elle soit inform?e…
Mais, ? mort! ? tourment! ? m?re bien-aim?e!
Tu vois dans quels ennuis d?p?rissent mes jours.
Ma m?re bien-aim?e, ah! viens ? mon secours.
Je meurs; va la trouver: que tes traits, que ton ?ge,
De sa m?re ? ses yeux offrent la sainte image.
Tiens, prends cette corbeille et nos fruits les plus beaux,
Prends notre Amour d’ivoire, honneur de ces hameaux;
Prends la coupe d’onyx ? Corinthe ravie;
Prends mes jeunes chevreaux, prends mon coeur, prends ma vie;
Jette tout ? ses pieds; apprends-lui qui je suis;
Dis-lui que je me meurs, que tu n’as plus de fils.
Tombe aux pieds du vieillard, g?mis, implore, presse;
Adjure cieux et mers, dieu, temple, autel, d?esse.
Pars; et si tu reviens sans les avoir fl?chis,
Adieu, ma m?re, adieu, tu n’auras plus de fils.
–J’aurai toujours un fils, va, la belle esp?rance
Me dit…’ Elle s’incline, et, dans un doux silence,
Elle couvre ce front, terni par les douleurs,
De baisers maternels entrem?l?s de pleurs.
Puis elle sort en h?te, inqui?te et tremblante;
Sa d?marche est de crainte et d’?ge chancelante.
Elle arrive; et bient?t revenant sur ses pas,
Haletante, de loin: ‘Mon cher fils, tu vivras,
Tu vivras.’ Elle vient s’asseoir pr?s de la couche,
Le vieillard la suivait, le sourire ? la bouche,
La jeune belle aussi, rouge et le front baiss?, Vient, jette sur le lit un coup d’oeil. L’insens? Tremble; sous ses tapis il veut cacher sa t?te.
‘Ami, depuis trois jours tu n’es d’aucune f?te,
Dit-elle; que fais-tu? Pourquoi veux-tu mourir?
Tu souffres. On me dit que je peux te gu?rir;
Vis, et formons ensemble une seule famille:
Que mon p?re ait un fils, et ta m?re une fille!’
(Andre Marie de Chenier)
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