O ! que j’aime la solitude !
Que ces lieux sacr?s ? la nuit,
Eloign?s du monde et du bruit,
Plaisent ? mon inqui?tude !
Mon Dieu! Que mes yeux sont contents
De voir ces bois qui se trouv?rent
A la nativit? du temps,
Et que tous les Si?cles r?v?rent,
Etre encore aussi beaux et verts,
Qu’aux premiers jours de l’Univers !
Un gai z?phyr les caresse
D’un mouvement doux et flatteur.
Rien que leur extr?me hauteur
Ne fait remarquer leur vieillesse.
Jadis Pan et ses demi-dieux
Y vinrent chercher du refuge,
Quand Jupiter ouvrit les cieux
Pour nous envoyer le D?luge,
Et se sauvant sur leurs rameaux,
A peine virent-ils les eaux.
Que sur cette ?pine fleurie,
Dont le printemps est amoureux,
Philom?le au chant langoureux
Entretient bien ma r?verie !
Que je prends de plaisir ? voir
Ces monts pendants en pr?cipices,
Qui, pour les coups du d?sespoir
Sont aux malheureux si propices,
Quand la cruaut? de leur sort,
Les force ? rechercher la mort !
Que je trouve doux le ravage
De ces fiers torrents vagabonds,
Qui se pr?cipitent par bonds
Dans ce vallon frais et sauvage !
Puis glissant sous les arbrisseaux,
Ainsi que des serpents sur l’herbe,
Se changent en plaisants ruisseaux,
O? quelque Na?ade superbe
R?gne comme en son lit natal,
Dessus un tr?ne de cristal !
Que j’aime ce marais paisible !
Il est tout bord? d’alisiers,
D’aulnes, de saules et d’osiers,
A qui le fer n’est point nuisible.
Les Nymphes y cherchant le frais,
S’y viennent fournir de quenouilles,
De pipeaux, de joncs et de glais ;
O? l’on voit sauter les grenouilles,
Qui de frayeur s’y vont cacher
Sit?t qu’on veut s’en approcher.
L?, cent mille oiseaux aquatiques
Vivent, sans craindre en leur repos,
Le giboyeur fin et dispos,
Avec ses mortelles pratiques,
L’un, tout joyeux d’un si beau jour,
S’amuse ? becqueter sa plume ;
L’autre alentit le feu d’amour
Qui dans l’eau m?me se consume,
Et prennent tout innocemment
Leur plaisir en cet ?l?ment.
Jamais l’?t?, ni la froidure
N’ont vu passer dessus cette eau
Nulle charrette ni bateau,
Depuis que l’un et l’autre dure ;
Jamais voyageur alt?r?
N’y fit servir sa main de tasse ;
Jamais chevreuil d?sesp?r?
N’y finit sa vie ? la chasse ;
Et jamais le tra?tre hame?on
N’en fit sortir aucun poisson.
Que j’aime ? voir la d?cadence
De ces vieux ch?teaux ruin?s,
Contre qui les ans mutin?s
Ont d?ploy? leur insolence !
Les sorciers y font leur sabbat ;
Les d?mons follets s’y retirent,
Qui d’un malicieux ?bat
Trompent nos sens et nous martyrent ;
L? se nichent en mille trous
Les couleuvres et les hiboux.
L’orfraie, avec ses cris fun?bres,
Mortels augures des destins,
Fait rire et danser les lutins
Dans ces lieux remplis de t?n?bres.
Sous un chevron de bois maudit
Y branle le squelette horrible
D’un pauvre amant qui se pendit
Pour une berg?re insensible,
Qui d’un seul regard de piti?
Ne daigna voir son amiti?.
Aussi le Ciel juge ?quitable,
Qui maintient les lois en vigueur,
Pronon?a contre sa rigueur
Une sentence ?pouvantable :
Autour de ces vieux ossements
Son ombre, aux peines condamn?e,
Lamente en longs g?missements
Sa malheureuse destin?e,
Ayant pour cro?tre son effroi
Toujours son crime devant soi.
L?, se trouvent sur quelques marbres
Des devises du temps pass? ;
Ici, l’?ge a presque effac?
Des chiffres taill?s sur les arbres ;
Le plancher du lieu le plus haut
Est tomb? jusque dans la cave,
Que la limace et le crapaud
Souillent de venin et de bave ;
Le lierre y cro?t au foyer,
A l’ombrage d’un grand noyer.
L? dessous s’?tend une vo?te
Si sombre en un certain endroit,
Que, quand Ph?bus y descendrait,
Je pense qu’il n’y verrait goutte ;
Le sommeil aux pesants sourcils,
Enchant? d’un morne silence,
Y dort, bien loin de tous soucis,
Dans les bras de la Nonchalance,
L?chement couch? sur le dos
Dessus des gerbes de pavots.
Au creux de cette grotte fra?che
O? l’Amour se pourrait geler,
?cho ne cesse de br?ler
Pour son amant froid et rev?che ;
Je m’y coule sans faire bruit,
Et par la c?leste harmonie
D’un doux luth, aux charmes instruit,
Je flatte sa triste manie,
Faisant r?p?ter mes accords
A la voix qui lui sert de corps.
Tant?t, sortant de ces ruines,
Je monte au haut de ce rocher,
Dont le sommet semble chercher
En quel lieu se font les bruines ;
Puis je descends tout ? loisir,
Sous une falaise escarp?e,
D’o? je regarde avec plaisir
L’onde qui l’a presque sap?e
Jusqu’au si?ge de Palemon,
Fait d’?ponges et de limon.
Que c’est une chose agr?able
D’?tre sur le bord de la mer,
Quand elle vient ? se calmer
Apr?s quelque orage effroyable !
Et que les chevelus Tritons,
Hauts, sur les vagues secou?es,
Frappent les airs d’?tranges tons
Avec leurs trompes enrou?es,
Dont l’?clat rend respectueux
Les vents les plus imp?tueux.
Tant?t l’onde, brouillant l’ar?ne,
Murmure et fr?mit de courroux,
Se roulant dessus les cailloux
Qu’elle apporte et qu’elle r’entra?ne.
Tant?t, elle ?tale en ses bords,
Que l’ire de Neptune outrage,
Des gens noy?s, des monstres morts,
Des vaisseaux bris?s du naufrage,
Des diamants, de l’ambre gris,
Et mille autres choses de prix.
Tant?t, la plus claire du monde,
Elle semble un miroir flottant,
Et nous repr?sente ? l’instant
Encore d’autres cieux sous l’onde.
Le soleil s’y fait si bien voir,
Y contemplant son beau visage,
Qu’on est quelque temps ? savoir
Si c’est lui-m?me, ou son image,
Et d’abord il semble ? nos yeux
Qu’il s’est laiss? tomber des cieux.
(Antoine de Girard Saint-Amant)
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