A LA FRANCE
France! ? belle contr?e, ? terre g?n?reuse,
Que les dieux complaisants formaient pour ?tre heureuse,
Tu ne sens point du nord les gla?antes horreurs,
Le midi de ses feux t’?pargne les fureurs.
Tes arbres innocents n’ont point d’ombres mortelles;
Ni des poisons ?pars dans tes herbes nouvelles
Ne trompent une main cr?dule; ni tes bois
Des tigres fr?missants ne redoutent la voix;
Ni les vastes serpents ne tra?nent sur tes plantes
En longs cercles hideux leurs ?cailles sonnantes.
Les ch?nes, les sapins et les ormes ?pais
En utiles rameaux ombragent tes sommets,
Et de Beaune et d’A? les rives fortun?es,
Et la riche Aquitaine, et les hauts Pyr?n?es,
Sous leurs bruyants pressoirs font couler en ruisseaux
Des vins d?licieux m?ris sur leurs coteaux.
La Provence odorante et de Z?phire aim?e Respire sur les mers une haleine embaum?e,
Au bord des flots couvrant, d?licieux tr?sor,
L’orange et le citron de leur tunique d’or,
Et plus loin, au penchant des collines pierreuses,
Forme la grasse olive aux liqueurs savoureuses,
Et ces r?seaux l?gers, diaphanes habits,
O? la fra?che grenade enferme ses rubis.
Sur tes rochers touffus la ch?vre se h?risse,
Tes pr?s enflent de lait la f?conde g?nisse,
Et tu vois tes brebis, sur le jeune gazon,
?paissir le tissu de leur blanche toison.
Dans les fertiles champs voisins de la Touraine,
Dans ceux o? l’Oc?an boit l’urne de la Seine,
S’?l?vent pour le frein des coursiers belliqueux.
Ajoutez cet amas de fleuves tortueux:
L’indomptable Garonne aux vagues insens?es,
Le Rh?ne imp?tueux, fils des Alpes glac?es,
La Seine au flot royal, la Loire dans son sein
Incertaine, et la Sa?ne, et mille autres enfin
Qui, nourrissant partout, sur tes nobles rivages,
Fleurs, moissons et vergers, et bois et p?turages,
Rampent au pied des murs d’opulentes cit?s Sous les arches de pierre ? grand bruit emport?s.
Dirai-je ces travaux, source de l’abondance,
Ces ports o? des deux mers l’active bienfaisance
Am?ne les tributs du rivage lointain
Que visite Phoebus le soir ou le matin?
Dirai-je ces canaux, ces montagnes perc?es,
De bassins en bassins ces ondes amass?es
Pour joindre au pied des monts l’une et l’autre T?thys,
Et ces vastes chemins en tous lieux d?partis,
O? l’?tranger, ? l’aise achevant son voyage,
Pense au nom des Trudaine et b?nit leur ouvrage?
Ton peuple industrieux est n? pour les combats.
Le glaive, le mousquet n’accablent point ses bras.
Il s’?lance aux assauts, et son fer intr?pide
Chassa l’impie Anglais, usurpateur avide.
Le ciel les fit humains, hospitaliers et bons,
Amis des doux plaisirs, des festins, des chansons;
Mais, faibles, opprim?s, la tristesse inqui?te
Glace ces chants joyeux sur leur bouche muette,
Pour les jeux, pour la danse appesantit leurs pas,
Renverse devant eux les tables des repas,
Fl?trit de longs soucis, empreinte douloureuse,
Et leur front et leur ?me. O France! trop heureuse
Si tu voyais tes biens, si tu profitais mieux
Des dons que tu re?us de la bont? des cieux!
Vois le superbe Anglais, l’Anglais dont le courage
Ne s’est sentais qu’aux lois d’un s?nat libre et sage,
Qui t’?pie, et, dans l’Inde ?clipsant ta splendeur,
Sur tes fautes sans nombre ?l?ve sa grandeur.
Il triomphe, il t’insulte. Oh! combien tes collines
Tressailliraient de voir r?parer tes ruines,
Et pour la libert? donneraient sans regrets
Et leur vin, et leur huile, et leurs belles for?ts!
J’ai vu dans tes hameaux la plaintive mis?re,
La mendicit? bl?me et la douleur am?re.
Je t’ai vu dans tes biens, indigent laboureur,
D’un fisc avare et dur maudissant la rigueur,
Versant aux pieds des grands des larmes inutiles,
Tout tremp? de sueurs pour toi-m?me infertiles,
D?courag? de vivre, et plein d’un juste effroi
De mettre au jour des fils malheureux comme toi.
Tu vois sous les soldats les villes g?missantes;
Corv?e, imp?ts rongeurs, tributs, taxes pesantes,
Le sel, fils de la terre, ou m?me l’eau des mers,
Sources d’oppression et de fl?aux divers;
Mille brigands, couverts du nom sacr? du prince,
S’unir ? d?chirer une triste province,
Et courir ? l’envi, de son sang alt?r?s,
Se partager entre eux ses membres d?chir?s!
O sainte ?galit?! dissipe nos t?n?bres,
Renverse les verrous, les bastilles fun?bres.
Le riche indiff?rent, dans un char promen?, De ces gouffres secrets partout environn?, Rit avec les bourreaux, s’il n’est bourreau lui-m?me,
Pr?s de ces noirs r?duits de la mis?re extr?me,
D’une ma?tresse impure ach?te les transports,
Chante sur des tombeaux, et boit parmi des morts.
Malesherbes, Turgot, ? vous en qui la France
Vit luire, h?las! en vain, sa derni?re esp?rance;
Ministres dont le coeur a connu la piti?, Ministres dont le nom ne s’est point oubli?,
Ah! si de telles mains, justement souveraines,
Toujours de cet empire avaient tenu les r?nes!
L’?quit? clairvoyante aurait r?gn? sur nous;
Le faible aurait os? respirer pr?s de vous;
L’oppresseur, ?vitant d’armer d’injustes plaintes,
Sinon quelque pudeur, aurait ou quelques craintes;
Le d?lateur impie, opprim? par la faim,
Serait mort dans l’opprobre, et tant d’hommes enfin,
A l’insu de nos lois, ? l’insu, du vulgaire,
Foudroy?s sons les coups d’un pouvoir arbitraire,
De cris non entendus, de fun?bres sanglots,
Ne feraient point g?mir les vo?tes des cachots.
Non, je ne veux plus vivre en ce s?jour servile!
J’irai, j’irai bien loin me chercher un asile,
Un asile ? ma vie en son paisible cours,
Une tombe ? ma cendre ? la fin de mes jours,
O? d’un grand au coeur dur l’opulence homicide
Du sang d’un peuple entier ne sera point avide,
Et ne me dira point, avec un rire affreux,
Qu’ils se plaignent sans cesse et qu’ils sont trop heureux;
O?, loin des ravisseurs, la main cultivatrice
Recueille les dons d’une terre propice;
O? mon coeur, respirant sous un ciel ?tranger,
Ne verra plus des maux qu’il ne peut soulager;
O? mes yeux, ?loign?s des publiques mis?res,
Ne verront plus partout les larmes de mes fr?res,
Et la p?le indigence ? la mourante voix,
Et les crimes puissants qui font trembler les lois.
Toi donc, ?quit? sainte, ? toi, vierge ador?e,
De nos tristes climats pour longtemps ignor?e,
Daigne du haut des cieux go?ter le libre encens
D’une lyre au coeur chaste, aux transports innocents,
Qui ne saura jamais, par des voeux mercenaires,
Flatter, ? prix d’argent, des faveurs arbitraires,
Mais qui rendra toujours, par amour et par choix,
Un noble et pur hommage aux appuis de tes lois.
De voeux pour les humains tous ses chants retentissent:
La v?rit? l’enflamme, et ses cordes fr?missent
Quand l’air qui l’environne aupr?s d’elle a port? Le doux nom des vertus et de la libert?.
(Andre Marie de Chenier)
More Poetry from Andre Marie de Chenier:
Andre Marie de Chenier Poems based on Topics: Sons, Habit, Tax- Le Mendiant (Andre Marie de Chenier Poems)
- L'Invention (Andre Marie de Chenier Poems)
- L'Aveugle (Andre Marie de Chenier Poems)
- La Liberte (Andre Marie de Chenier Poems)
- Hermes (Andre Marie de Chenier Poems)
- Le Malade (Andre Marie de Chenier Poems)
Readers Who Like This Poem Also Like:
Based on Topics: Sons Poems, Habit Poems, Tax PoemsBased on Keywords: forme, peut, rit, grands, heureux, bord, verra, indiff, riche, pieds, respiré