Fumant dans le cristal, que Bacchus ? longs flots
Partout aille ? la ronde ?veiller les bons mots.
Reine de mes banquets, que Lycoris y vienne;
Que des fleurs de sa t?te elle pare la mienne;
Pour enivrer mes sens, que le feu de ses yeux
S’unisse ? la vapeur des vins d?licieux.
Amis, que ce bonheur soit notre unique ?tude;
Nous en perdrons sit?t la charmante habitude!
H?tons-nous, l’heure fuit. H?tons-nous de saisir
L’instant, le seul instant donn? pour le plaisir.
Un jour, tel est du sort l’arr?t inexorable,
V?nus, qui pour les dieux fit le bonheur durable,
A nos cheveux blanchis refusera des fleurs,
Et le printemps pour nous n’aura plus de couleurs.
Qu’un sein voluptueux, des l?vres demi-closes
Respirent pr?s de nous leur haleine de roses;
Que Phryn? sans r?serve abandonne ? nos yeux
De ses charmes secrets les contours gracieux.
Quand l’?ge aura sur nous mis sa main fl?trissante,
Que pourra la beaut?, quoique toute-puissante?
Vainement expos?e ? nos regards confus,
Nos coeurs en la voyant ne palpiteront plus.
Il faudra bien qu’arm?s de la philosophie,
Oubliant le plaisir alors qu’il nous oublie,
La science nous offre un utile secours
Qui dispute ? l’ennui le reste de nos jours.
C’est alors qu’exil? dans mon champ?tre asile,
De l’antique sagesse admirateur tranquille,
Du mobile univers interrogeant la voix,
J’irai de la nature ?tudier les lois:
Par quelle main sur soi la terre suspendue
Voit mugir autour d’elle Amphitrite ?tendue;
Quel Titan foudroy? respire avec effort
Des cavernes d’Etna la ruine et la mort;
Quel bras guide les cieux; ? quel ordre encha?n?
Le soleil bienfaisant nous ram?ne l’ann?e;
Quel signe aux ports lointains arr?te l’?tranger;
Quel autre sur la mer conduit le passager,
Quand sa patrie absente et longtemps appel?e Lui fait tenter l’Euripe et les flots de Mal?e;
Et quel, de l’abondance heureux avant-coureur,
Arme d’un aiguillon la main du laboureur.
Cependant jouissons; l’?ge nous y convie.
Avant de la quitter, il faut user la vie.
Le moment d’?tre sage est voisin du tombeau.
Allons, jeune homme, allons, marche; prends ce flambeau.
Marche, allons. M?ne-moi chez ma belle ma?tresse.
J’ai pour elle aujourd’hui mille fois plus d’ivresse.
Je veux que des baisers plus doux, plus d?vorants,
N’aient jamais vers le ciel tourn? ses yeux mourants.
(Andre Marie de Chenier)
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